Andrea Oberhuber

Professeure de littérature, spécialiste de l'écriture des femmes (XIXe-XXIe s.), de photolittérature et des avant-gardes historiques

Andrea Oberhuber, Tracer, Saint-Brelade’s Bay (Jersey), avril 2014

Les archives audio du colloque se trouvent sur la page consacrée à l’événement sur le site de l’OIC (Observatoire de l’imaginaire contemporain).

Appel à Communications du colloque

Responsables :
Andrea Oberhuber et Alexandra Arvisais
(Université de Montréal)
Université de Montréal, 28 et 29 mai 2015

      Depuis les années 1990, l’œuvre de Claude Cahun a été presque systématiquement interprétée à travers le prisme de l’esthétique surréaliste. En font foi les diverses expositions et publications en Europe et en Amérique du Nord ayant présenté Cahun aux côtés d’autres artistes du cercle surréaliste ou, parfois, dans le contexte plus général des avant-gardes de l’entre-deux-guerres. Or, loin de n’être héritière que de ce seul courant, son œuvre littéraire et picturale, élaborée pour la plupart avec le concours de la peintre-graphiste Marcel Moore, se situe au carrefour de plusieurs influences : le symbolisme, le modernisme, Dada et le surréalisme.

Certains thèmes et motifs du travail du couple d’artistes (mythologie gréco-latine, narcissisme, androgynie, monstre, masque et double), de même que divers traits stylistiques (de l’esthétisation des sensations à l’« écriture artiste », en passant par les dessins d’inspiration Art Nouveau de Moore) relèvent de l’influence symboliste, notamment celle de Marcel Schwob pour ce qui est de l’écriture et d’Aubrey Beardsley et de l’estampe japonaise dans le domaine visuel. En revanche, le recueil de nouvelles Héroïnes s’inscrit dans le courant moderniste des années 1910-20 auquel Cahun, héritière d’une tradition familiale anglophile, ne pouvait qu’être sensible : les stratégies de réécriture de grandes figures mythologiques puisent allègrement dans l’ironie comme modalité de mise en cause non seulement de modèles féminins ancestraux mais également du discours ayant figé leur image depuis des siècles. Dans l’entre-deux-guerres, l’esthétique du collage Dada et les valeurs surréalistes (l’enfance, l’onirisme, l’hybridité générique, le double et la hantise, le fragmentaire, etc.) inspirent la création de son ouvrage autographique majeur, Aveux non avenus, des nombreux autoportraits, photomontages ainsi que des mises en scène d’objets surréalistes. Avec Aveux non avenus et Cœur de Pic (de Lise Deharme et Claude Cahun), Cahun et Moore reconfigurent l’objet livre dans ses dimensions matérielle et collaborative, un travail amorcé par Dada et le surréalisme qui fera fortune tout au long du XXe siècle et jusqu’à nos jours sous la forme du « livre d’artiste », tel que pensé par Edward Ruscha, Robert Filliou, Christian Boltanski et Annette Messager, entre autres. La politisation de la pensée cahunienne s’opère avec l’essai Les paris sont ouverts, rédigé sur l’instigation de Breton peu avant l’exil de Cahun et de Moore sur l’île de Jersey où l’auteure reprendra le fil auto(bio)graphique dans un texte resté à l’état de fragments, Confidences au miroir.

      Le colloque sera l’occasion de nous interroger d’une part sur les héritages littéraires, esthétiques et éthiques dont a profité le couple Cahun-Moore dans leur démarche entre les courants littéraires et esthétiques, entre les arts et les médias, entre les genres masculin/féminin ; d’autre part, compte tenu de la valeur avant-gardiste d’un large pan de leur œuvre, il s’agira de s’intéresser aux traces laissées dans l’œuvre de potentiels héritiers, que cet héritage soit revendiqué ou non. Ainsi, l’on peut penser à des artistes comme Orlan, Matthew Barney, Cindy Sherman, Sophie Calle ou Michaela Moscouw. À la lumière de différentes approches (de l’histoire littéraire aux gender studies en passant par les rapports texte/image, les études intermédiales et la poétique des genres), les chercheurs seront invités à réfléchir aux notions d’héritage et de filiation, de seuil et de frontière, de partage et de passage.

Colloque « Héritages de Claude Cahun et Marcel Moore »

Colloque organisé par
Andrea Oberhuber et Alexandra Arvisais
28 et 29 mai 2015
Université de Montréal

Mot d’ouverture

Andrea Oberhuber et Alexandra Arvisais, Université de Montréal
« Claude Cahun et Marcel Moore : héritages et partages »

Conférence inaugurale

Mireille Calle-Gruber, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
« Elles le livre »

Première séance : Héritages
Présidente de séance :
Véronique Cnockaert

[accordion multiopen= »true »]

[toggle title= »Agnès Lhermitte, Université Michel de Montaigne – Bordeaux III » state= »opened »]

« La nièce de Marcel Schwob »

Il s’agira de questionner cette périphrase par laquelle Lucy Schwob/Claude Cahun fut désignée le plus souvent dans le monde littéraire de son temps. Comment et dans quelle mesure cette filiation supposée mais indirecte, « de biais », se traduit-elle sociologiquement et esthétiquement dans le parcours de l’écrivaine ? Cet homme d’un autre siècle, dont l’érudition et la perfection d’écriture recevaient les louanges de l’élite intellectuelle d’avant-guerre, lui fut-il détermination aliénante ou simple starting-block ? Peut-on à son sujet parler de modèle ?

En somme, en quoi l’ethos littéraire de Claude Cahun fait-il écho à celui de Marcel Schwob ?

À travers la question du nom et des relations, l’activité journalistique et théâtrale, l’écriture fictionnelle et critique, on pourra analyser l’ambivalence de cette « héritière » (au sens bourdieusien) envers une ascendance à la fois utilisée voire revendiquée, et peu à peu écartée de la voie singulière qu’elle entend tracer. Une étude plus approfondie des thématiques récurrentes chez les deux auteurs mettra en lumière à la fois l’ancrage de Cahun dans l’univers symboliste tel que l’ont aussi continué, quoique sans beaucoup l’avouer, les surréalistes (qui ont apprécié Schwob), et des correspondances intimes avec les « mythes personnels » avunculaires. Enfin il faudrait examiner l’interprétation personnelle magistrale que fait Claude Cahun de la notion de « vie imaginaire » initiée par Marcel Schwob et nourrie par la lecture de Jules de Gaultier : dans Héroïnes et dans Aveux non avenus notamment, elle intériorise sa projection dans diverses hypostases, se les annexe, et jusqu’au texte inachevé intitulé par F. Leperlier Confidences au miroir, elle poursuit une expérimentation autobiographique incluant diverses modalités de l’imaginaire.

[/toggle]
[toggle title= »Gayle Zachmann, Université de Floride« ]

« Décombres de Claude Cahun : lettres et legs »

J’affirme que le droit de résister et d’aider à résister aux maux naturels et sociaux est le premier des droits de l’homme. (Écrits, 657)
Je reviens de loin. J’ai le droit d’en parler. (Écrits, 573)

Dans ma communication, je me propose d’esquisser la place des discours d’héritage dans l’œuvre de Claude Cahun (née Lucy Schwob, 1894-1954) : ceux qu’elle invoque, ceux qu’elle mettra en question, en suspens, et en marche. À partir d’une lecture de Marcel Schwob (1867-1905), j’aborderai la question de certains patrimoines journalistiques, nationaux, littéraires et familiaux tels qu’ils sont manifestes dans son œuvre littéraire et visuelle, plus précisément les modalités à travers lesquelles ces divers héritages sont convoqués dans l’autoreprésentation et l’esthétique de Cahun qui, dans ses textes des années 1940 et 1950, ébauche le poids et le pari des négociations culturelles sur les décombres de la guerre, ainsi que des discours révolutionnaires et universalistes.

En effet, même si son œuvre se situe le plus souvent aux carrefours du symbolisme, du modernisme, de Dada et du surréalisme, j’y ajouterais non seulement le long dix-neuvième siècle, mais également, et ce sans réserve, un parti pris existentialiste très particulièrement cahunien qui préfigure les prises de position Tel Quel.

[/toggle]
[toggle title= »Alexandra Arvisais, Université de Lille et Université de Montréal« ]

« Tel oncle, telle nièce : l’héritage symboliste de Vies imaginaires dans Héroïnes et Aveux non avenus »

Depuis les années 1990, la critique s’est intéressée à la part du surréalisme dans l’œuvre de Claude Cahun et Marcel Moore, mais le symbolisme de la fin du XIXe siècle constitue également un héritage majeur, qui se fait tangible à travers le choix de certains thèmes et motifs (le narcissisme, l’androgynie, le masque, le double), de l’exploration formelle, de l’écriture « artiste », de l’inspiration Art Nouveau des dessins de Moore, du principe de l’obscur et de l’hybridité. L’héritage symboliste se construit autour de la figure de l’oncle de Claude Cahun, l’écrivain symboliste Marcel Schwob, tel qu’en témoigne l’influence de Vies imaginaires de Schwob sur Héroïnes et Aveux non avenus. Cette œuvre de Schwob repose sur l’hybridité tant en ce qui a trait au genre littéraire (entre réalité biographique et imaginaire romanesque, entre conte, poème en prose et nouvelle) qu’à la construction des figures romanesques. Claude Cahun reprend l’idée des « vies imaginaires » dans la création d’Héroïnes et d’Aveux non avenus, deux ouvrages qui prônent le mélange des intertextes, des genres et des médias. Pour l’oncle comme pour la nièce, l’hybridité, à la fois thème et procédé scripturaire, s’associe à une poétique de la singularité, que Cahun appelait « [s]a manie de l’exception » (Aveux non avenus, Paris, Éditions du Carrefour, 1930, p. 177).

En s’appuyant sur des lectures de l’hybride appartenant à la critique de la littérature fin-de-siècle (Pierre Jourde, Alain Corbin, Jean-Pierre Bertrand et al.) et de l’entre-deux-guerres (Pascaline Mourier-Casile, Colvile et Conley), cette communication explorera la filiation entre Vies imaginaires de Schwob et Héroïnes et Aveux non avenus de Claude Cahun. Il s’agira d’étudier l’hybridité du récit, des figures et de l’objet-livre, en étant sensible aux divers partages qui ouvrent des passages entre symbolisme, modernisme et surréalisme. Ces points de rencontre n’empêcheront pas de constater que le traitement des thèmes et des motifs diffère d’un auteur à l’autre. Si l’hybridation chez Schwob se fonde sur une relation de contiguïté, Héroïnes et Aveux non avenus révèlent un rapport de discontinuité à la base de la construction du texte hybride, qui tend vers le monstrueux, conformément à l’esthétique de l’avant-garde surréaliste.

[/toggle]
[toggle title= »Yves Thomas, Université Trent« ]

« Entre Marcel et Lucy, le Mercure de France »

Le Mercure de France au tournant du XXe siècle, est, pour l’essentiel, un véritable compendium des lettres. Lieu de rencontres, de foisonnements, où l’on discute et où l’on dispute, il est tout un peu à la fois littérairement, politiquement, intellectuellement. Convergences, coïncidences et oppositions y alimentent une vision du champ culturel qui s’attache à l’actualité pour y réfléchir sans bornes à coup de recensions et d’examens critiques. L’investigation ne cesse ici d’y faire apparaître la pratique vivante de lectures multiples en liaison directe avec la création.

En imposant des goûts, en dégageant des problématiques, en faisant surgir des lignes d’enquête, en décrétant et en jugeant, la diversité des approches individuelles que propose la revue vient aussi offrir un point de rencontre entre un écrivain, et une artiste-poète. Deux vocations et deux aires de recherches aux styles très différents viennent s’épanouir sous le nom de Marcel Schwob et celui de sa nièce Lucy mieux connue sous le pseudonyme Claude Cahun. C’est à la subtile médiation du Mercure de France que s’intéresse notre enquête. Il s’agit de s’interroger sur la participation délibérée de l’oncle et de sa nièce à deux époques différentes : celle de Marcel Schwob entre 1892 et 1894 et celle de Lucy Schwob entre 1914 et 1927. Sous les dehors d’une opposition qui peut-être toute familiale de même que stylistique, nous pensons voir se dessiner une convergence, une alliance, une influence dont le Mercure de France est le véritable révélateur.

[/toggle]

Deuxième séance : À la croisée des influences et des échanges
Présidente de séance :
Catherine Mavrikakis
[toggle title= »Charlotte Maria, Université de Caen« ]

« Famille, héritages et influences, entre création et pathologie »

Comme nous le savons désormais, Claude Cahun est une artiste protéiforme qui a exercé son talent dans un grand nombre de domaines : écriture, photographie, art plastique, journalisme, théâtre. Or, si l’on se penche sur la question de l’héritage artistique, on observe que les mécanismes de l’influence diffèrent grandement selon le médium utilisé. Ainsi, on trouve d’une part des écrits qui restent fortement marqué par la littérature fin-de-siècle, par son idéalisme et son décadentisme ; et d’autre part, des photographies et des œuvres plastiques qui révèlent l’empreinte du surréalisme et des avant-gardes. Il s’agira donc de comprendre pourquoi son écriture est plus proche du symbolisme et ses photographies du surréalisme et de savoir pourquoi elle se sent finalement plus libre dans l’expression plastique.

[/toggle]
[toggle title= »Josée Simard, Université de Montréal« ]

« L’influence du symbolisme dans les images-peintures de Vues et visions »

Première œuvre composite créée en collaboration avec l’artiste visuelle Marcel Moore, Vues et visions (1919) de Claude Cahun est un objet littéraire protéiforme appartenant au genre de l’iconotexte (Alain Montandon), où s’instaure un dialogue intermédial entre le textuel et le visuel au point de déconstruire l’horizon d’attente du lecteur. Celui-ci est incité à lire et à voir alternativement les poèmes en prose ainsi que les dessins de sorte que les frontières qui définissent l’espace du littéral et du figural apparaissent poreuses. Le recueil s’inscrit ainsi dans la lignée des œuvres modernistes de la seconde moitié du XIXe siècle : l’époque est caractérisée d’innovations formelles, notamment sur le plan de l’hybridité générique, artistique et médiatique. Véritables poèmes figuratifs, les textes littéraires s’approprient les caractéristiques du pictural (au sens de « picture ») pour faire image, laquelle influe sur le lyrisme poétique tant sur le plan de la forme que du contenu. De fait, les poèmes en prose s’inspirent du symbolisme et du modernisme (art nouveau, jugendstil, japonisme), soit les courants artistiques qui ont inspiré Marcel Moore dans la conception des illustrations du livre hybride afin d’élaborer les images-peintures.

Dans le cadre d’une réflexion portant sur les héritages littéraires et esthétiques déployés dans l’œuvre cahunien, cette présentation sera l’occasion d’analyser, d’une part, la manière dont le visuel investit le textuel dans l’œuvre Vues et visions signée par Claude Cahun et sa fidèle collaboratrice, Marcel Moore ; d’autre part, il s’agira d’étudier l’influence du courant symboliste dans l’élaboration des textes poétiques entre images à lire et images à voir.

[/toggle]
[toggle title= »Marie-Claude Dugas, Université de Montréal« ]

« Héroïnes ou les contes modernistes de Claude Cahun »

Peu d’auteurs français ont été étudiés dans le cadre critique du modernisme littéraire, associé le plus souvent à des œuvres anglo-saxonnes. Or, les nouvelles qui composent le recueil Héroïnes portent les traces de l’expérimentation moderniste. Chaque texte ressuscite, sur le mode du détournement, un mythe féminin tiré de l’Antiquité, de récits bibliques ou de contes populaires et témoigne du rapport ambivalent qu’entretient le modernisme littéraire avec le passé.

L’objectif de ma communication vise à examiner les stratégies de reprise de figures féminines marquantes utilisées par l’auteure comme moyen de renouvellement formel et thématique. Il s’agira de voir comment le travail de réécriture des hypotextes (pour reprendre la typologie fixée par Gérard Genette), devient, dans l’hypertexte, une création originale qui contribue à l’architecture d’un nouvel imaginaire féminin. Puis, en relevant les procédés scripturaires comme les jeux sur les identités sexuelles et la polyphonie discursive, il y aura lieu de s’intéresser également aux modalités de représentations du féminin à l’œuvre dans ces nouvelles, lesquelles explorent les multiples facettes de l’entre-deux des pôles identitaires et déploient une poétique moderniste du fragmentaire et de l’hétérogène.

[/toggle]
[toggle title= »Michel Carassou, éditeur, Non Lieu (Paris)« ]

« Claude Cahun et Havelock Ellis dans Inversions et L’Amitié »

On connaissait de Claude Cahun sa réponse à l’enquête d’Inversions dans la revue L’Amitié (avril 1925). Une étude plus précise de cette publication m’a permis de découvrir que la participation de Claude Cahun au numéro unique de L’Amitié ne se limitait pas à cette réponse. Non seulement elle y a écrit d’autres textes – qui trouvent souvent leurs prolongements dans Aveux non avenus – mais elle a été, au moins pour partie, maître d’œuvre de cette livraison.

Cette collaboration, jusqu’ici insoupçonnée, s’inscrit dans l’histoire mouvementée de la revue et de ses démêlés judiciaires. Il apparaît que Claude Cahun était déjà active auprès des animateurs d’Inversions depuis le troisième numéro. Ces données nouvelles permettent de réévaluer l’engagement de Claude Cahun dans la défense des homosexuels, en même temps qu’elles ouvrent des pistes de recherche sur ses relations avec des mouvements libertaires et féministes, et sur les valeurs qu’elle partageait avec eux.

Cependant Claude Cahun ne s’invite pas seule au sommaire de L’Amitié. Parmi ceux qui l’accompagnent figure Havelock Ellis, le philosophe et psychologue anglais, fondateur de la sexologie. Elle l’introduit auprès des animateurs de la revue, comme elle l’introduira plus tard auprès d’André Breton. En outre, ses propres textes sont fortement imprégnés des idées de Havelock Ellis, qu’il s’agisse de sa conception de l’amitié, de la morale sexuelle, de ses thèses sur les genres intermédiaires ou de l’eugénisme. La traduction du gros essai Études de psychologie sociale, la femme dans la société (qui sera publié partiellement en 1929) exprime l’immense admiration pour l’auteur britannique qui est alors, et restera, l’un de ses principaux maîtres à penser : Ellis influencera durablement la production littéraire et plus encore le travail photographique de Claude Cahun.

[/toggle]

29 mai 2015

Troisième séance : (Re)connaissance
Présidente de séance :
Alexandra Arvisais

[toggle title= »Eve Gianoncelli, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis« ]

« Héritage(s), situation de la connaissance et conflictualités de la reconnaissance. Claude Cahun à la lumière de ses commentateurs/trices »

Cette proposition de communication vise à problématiser la question de l’héritage à travers les formes d’appropriation de la pensée et de l’œuvre de Cahun et la manière dont elles les inscrivent dans différents types d’histoire intellectuelle (au sens large). Si les formes de l’héritage de Cahun de ce point de vue apparaissent connues, elles ont en réalité peu fait l’objet d’un travail d’analyse systématique en tant que tel d’une part ; d’autre part, les raisons qui ont favorisé les différentes formes de sa réinscription intellectuelle et artistique ont peu été analysées. Il s’agit ainsi d’abord de remédier à ces impensés. Dans un second temps, il convient alors de comprendre comment hériter signifie également s’inscrire dans des logiques spécifiques de réception des œuvres et des idées qui concourent à des formes spécifiques de diffusion et même de production de l’objet Cahun. On s’interrogera notamment dans ce cadre sur la manière dont les formes d’appropriation de l’œuvre cahunienne permettent de rejouer des lectures situées et polarisées qui mettent notamment (mais alors pas seulement) en scène une opposition entre des lectures « française », universalisante, et « américaine », susceptible d’être décriée par la première comme communautariste, rejouant alors des clivages théoriques et politiques traditionnels entre les deux côtés de l’Atlantique. C’est par exemple ce que met en scène François Leperlier quand il dénonce la « pensée lesbienne » qui sert de lecture à la pensée cahunienne, qu’il associe à une forme de communautarisme, sans voir ce que sa propre posture, répondant à ce que l’on pourrait nommer un « impératif d’idiosyncrasie », et se prétendant affranchie de tout point de vue, en relève tout autant et est symptomatique d’une grille de lecture universaliste prégnante dans la culture intellectuelle française. L’objectif est alors ici double : il s’agit d’une part de thématiser les formes d’opposition théoriques et politiques relevant de différentes cultures nationales entre les deux côtés de l’Atlantique, par exemple dans le sillage des travaux du sociologue Éric Fassin qui a examiné ces jeux de miroirs (et notamment du point de vue du féminisme) ; d’autre part, d’examiner ces points de vue nécessairement situés qui investissent l’objet Cahun selon une épistémologie du point de vue permettant d’interroger les conditions sociales de production de la connaissance. Il s’agira enfin d’esquisser une lecture permettant de s’interroger sur les conditions de possibilité d’un héritage tentant de dépasser ces apories en prenant au sérieux à la fois la prétention propre de Cahun et de Moore et ce qu’elle apporte aux problématiques du genre. On se propose ici en particulier d’analyser la tension entre des formes de problématisation du couple d’artistes, de la féminité et du genre et les raisons pour lesquelles ce n’est que la contemporanéité qui peut permettre à proprement parler de constituer ses enjeux comme politiques.

[/toggle]
[toggle title= »Clara Dupuis-Morency, Université de Montréal« ]

« Décalages de la filiation : héritages de Cahun et Moore dans l’image et dans le texte »

Le tracé d’une filiation, dans le champ visuel, de l’œuvre plastique collaborative de Claude Cahun et de Marcel Moore avec les œuvres d’artistes contemporains (Cindy Sherman, ORLAN, Matthew Barney, etc.) n’est pas difficile à établir. Par ailleurs, il est aisé de relever des rapports entre la dimension de la performance dans cette démarche artistique et politique, et le développement des arts de performance et leur théorisation (Peggy Phelan) dans la deuxième partie du XXe (comme actes de performance ainsi que comme composante inhérente à l’art visuel).

Or, qu’en est-il d’une filiation proprement littéraire ? Bien que l’œuvre de Cahun et Moore ait refait surface à la fin du siècle dernier par le retour de ses images, ses textes sont maintenant accessibles et lus de façon croissante (surtout depuis le début de notre siècle). Mais peut-on pour autant déceler un écho des ruptures et des innovations de la poétique cahunienne dans les œuvres littéraires contemporaines ? Alors que l’imaginaire formel de l’image chez Cahun et Moore semble préfigurer un certain regard contemporain sur l’art, mais aussi sur l’être humain, alors que le spectateur actuel a l’impression que ces images ont le pouvoir de lui dire quelque chose d’encore impensé de lui-même, les textes issus de cet œuvre ne semblent pas bénéficier de la même actualisation (A. Fleig, 1997), voire semblent figés dans leur période historique.

Cette présentation tentera de penser les raisons d’un tel décalage, dans le champ visuel et littéraire, d’une filiation de l’œuvre de Claude Cahun et de Marcel Moore. De plus, seront présentées des pistes hypothétiques, en dehors de la tradition littéraire francophone (traditions allemande, américaine), de possibles héritières littéraires « indirectes » de Cahun, telles qu’Elfriede Jelinek et que Kathy Acker.

[/toggle]

Présidente de séance : Andrea Oberhuber

[toggle title= »Valérie Etter et Anke Vrijs, Université de Strasbourg et Institut national des Sciences appliquées de Strasbourg« ]

« Travail à deux voix : fusion et confusion des identités »

En marge des courants dominants, Claude Cahun a utilisé la photographie de façon très personnelle pour questionner son identité : elle n’a cessé de se représenter et de s’inventer une autre identité à travers son image manipulée, construite avec humour et artifices, dépassant ainsi la fonction de représentation objective communément associée à l’appareil photographique.

L’utilisation de la photographie est d’ailleurs devenue une vraie position artistique, et depuis Marcel Duchamp (avec Rrose Sélavy en 1921), de nombreux artistes expérimentent l’autoreprésentation avec le médium photographique. Ce médium offre de larges possibilités pour agir sur l’image dans toutes ses phases de réalisation – de la prise de vue au montage en passant par le tirage en laboratoire avec ses nombreuses manipulations possibles – pour évoquer le trouble que génère le regard porté sur soi-même. Ainsi, depuis Dada, certains artistes travaillent à témoigner de la dislocation et de la décomposition de l’œuvre aussi bien dans sa conception que dans sa réalisation plastique (collage, emprunt, fragmentation).

Ainsi, le thème de l’autoreprésentation a été le moteur permettant aux héritiers actuels d’élargir le regard et de travailler véritablement à deux, se questionnant réciproquement en négociant la place de chacun des acteurs dans un travail signé à deux. Les stratégies retenues par les artistes aujourd’hui s’intéressent au travestissement, bien sûr, mais utilisent aussi l’effacement de l’individu dans le travail à deux, l’intermédialité et surtout le thème du double.

Comment ces thèmes sont-ils envisagés dans le travail des héritiers de Claude Cahun et de Marcel Moore ? Quels sont les moyens plastiques mis en œuvre pour créer la fusion/confusion des genres et des identités ? Nous envisageons d’interroger les notions de portrait photographique à deux voix, à travers les œuvres de LawickMüller, Gilbert & George ou Pierre et Gilles, mais aussi en questionnant les démarches de Michel Journiac dans ses travaux Hommage à Freud et Inceste.

[/toggle]

[toggle title= »Léonie Lauvaux, Université Rennes 2« ]

« La robe, symbole et significations »

La communication que je propose concernant l’héritage de Claude Cahun et Marcel Moore portera sur l’apparition d’un vêtement, la robe, dans la pratique photographique des artistes et la reprise de ce symbole de féminité par les artistes contemporains.

Le sens premier du mot « robe » étant un « vêtement féminin composé d’un corsage et d’une jupe d’un seul tenant » (Petit Larousse, 2009), la robe est un apanage strictement féminin. Les robes, courtes, longues, droites, aussi diverses soient-elles sont donc tout autant de représentations du « féminin ». Nous entendrons ici par « féminin » (toujours selon le Petit Larousse), « qui manifeste des caractères considérés comme propres à la femme ». Cette définition est à mon sens excluante et réductrice, ne considérant l’entité « femme » que comme un être humain cisgenre, c’est-à-dire de sexe biologiquement déterminé comme féminin. Cette définition exclue de fait les personnes transgenres, hermaphrodites ou intersexuées.

Pourtant, Claude Cahun, qui ne se sent ni homme ni femme, se présente en robe dans l’Autoportrait en costume de Barbe Bleue en 1929. La robe est longue, le buste corseté. Mais en réalité, l’artiste ne se présente pas ici en femme : elle donne simplement l’illusion d’être une femme. Par le travestissement, elle se fait mascarade du féminin. Claude Cahun va ouvrir la voie du questionnement sur ce qu’être femme veut dire, d’autant plus quand on est « artiste-femme ».

C’est comme cela que dès les années 1960, parallèlement aux revendications féministes, la robe se voit de nouveau utilisée par les plasticiennes comme Orlan qui mesure l’espace public dans une robe fabriquée dans les draps de son trousseau. Elle apparaîtra également chez Annette Messager et Marie-Ange Guileminot, linceul ou bien prothèse, et sera matière à travestissement chez Cindy Sherman. Un homme, Michel Journiac, la portera vingt-quatre heures durant, dénonçant en miroir l’homophobie.

La robe est à penser au-delà de ses fonctions utilitaires, couvrir le corps des femmes, et sera l’objet d’une analyse des symboles qu’elle représente en terme d’identité et d’émancipation chez Cahun et ses héritier(e)s.

[/toggle]

Quatrième séance : Legs et filiation
Président de séance :
Sylvano Santini

[toggle title= »Valérie Etter, Université de Strasbourg« ]

« Autoreprésentation et travestissement chez Cindy Sherman et Yasumasa Morimura »

L’un des principaux héritages esthétiques de Claude Cahun est sans doute le travail sur l’autoportrait photographique. On peut parler d’autoportrait, bien que ce soit sans doute Marcel Moore qui déclenchait l’appareil photographique, parce que ce devait être Claude Cahun qui présidait à l’ordonnancement des clichés et que les expérimentations qu’elle propose et où elle est toujours son propre modèle, sont terriblement personnelles.

Parfois autobiographique, souvent fantasmé, l’autoportrait photographique est aussi une démarche récurrente chez des artistes contemporains, notamment Cindy Sherman et Yasumasa Morimura. Dans leur travail, l’identité est mise à mal, qu’elle soit sociale, sexuelle voire même « temporelle ». Car la référence à l’histoire de l’art dans le travail photographique de ces deux artistes est intéressante, et renforce la notion de filiation en l’associant au monde de l’art dans le sens le plus large possible, et non seulement en le cantonnant aux années 20 et 30. Pourtant, c’est bien en cette période et dans le cadre du mouvement Dada que l’on trouve les prémisses de cette démarche à travers les portraits de Man Ray photographiant Marcel Duchamp en Rrose Sélavy et bien sûr, à travers les autoportraits de Claude Cahun, pionnière de l’installation photographique.

Ainsi, nous envisageons d’étudier dans notre communication, les démarches de Cindy Sherman (artiste nord américaine, femme) et de Yasumasa Morimura (artiste japonais, homme), qui questionnent tous deux la pratique du travestissement à travers l’autoportrait photographique. Mais il est intéressant de constater que si leurs démarches peuvent sembler proches, le fait que l’origine des artistes se situe d’une part en Occident et d’autre part en Orient, rend leur discours différent, notamment dans la remise en cause des stéréotypes.

Aussi, nous nous intéresserons à la question de la citation d’œuvres antérieures dans le travail de ces deux artistes et des liens qui unissent les démarches dadaïstes et surréalistes de Duchamp et Cahun aux propositions contemporaines et qui placent l’ensemble de ces œuvres du côté de l’« inquiétante étrangeté ».

[/toggle]

[toggle title= »Servanne Monjour, Université Rennes 2 et Université de Montréal« ]

« Lydia Flem au miroir de Claude Cahun : une poétique de l’anamorphose »

Dans ses travaux consacrés aux perspectives dépravées, Jurgis Baltrušaitis observe que si les surréalistes ont largement œuvré en faveur du renouveau des formes anamorphiques au début du XXe siècle, c’est pour inscrire celles-ci dans une poétique de l’informe et du désordre. Car c’est en effet « la puissance déformatrice et non restauratrice des formes déformées » (Jurgis Baltrušaitis, Anamorphoses ou Thaumaturgus opticus, Les perspectives dépravées, Paris, Flammarion, 1984, coll. « Idées et recherches », p. 195) que favorisent ces nouvelles anamorphoses désormais « sans retour » – puisque le terme désigne, selon sa racine étymologique, toute forme qui revient, ou redevient « normale » sous un certain point de vue.

Claude Cahun, à la fois proche et distante du surréalisme, s’est illustrée dans cette poétique de la distorsion qu’elle a notamment appliquée à sa propre représentation. Pièce maîtresse de son œuvre photographique, l’autoportrait réalisé pour la revue Bifur en 1929 allonge ainsi le crâne rasé de l’artiste pour, selon les termes de François Leperlier, « déstabiliser la perception du réel [et] faire valoir la souveraineté de l’imaginaire » (« L’œil en scène », introduction à Claude Cahun, Arles, Actes Sud, coll. « Photo Poche », 2011). Près d’un siècle plus tard, ce reflet de Claude Cahun ressurgit sous les traits d’une nouvelle « femme chauve » : Lydia Flem, psychanalyste, écrivaine et photographe, pose devant la webcam de son ordinateur, le crâne dénudé par la chimiothérapie, recouvert d’une couronne de post-it bariolés. Entre 2008 et 2010, l’artiste, atteinte d’un cancer, réalise ainsi une série de clichés publiés sur son blogue. Ces images seront plus tard insérées dans le récit autofictionnel La Reine Alice (2011), parodie de Through The Looking Glass où la narratrice Alice, alter ego de l’auteure, passe un jour « de l’autre côté de soi » après avoir aperçu dans le miroir une masse suspecte du cancer contre son sein.

À partir de ces deux autoportraits aux caractéristiques anamorphiques, cette communication présente un double objectif :

  • Démontrer que si La Reine Alice s’inscrit bel et bien dans l’héritage carrollien, l’œuvre photographique que Lydia Flem construit depuis maintenant quelques années doit aussi se penser au reflet d’un autre miroir : celui de Claude Cahun et de ses tableaux photographiques composés de petits objets qui, dans Le Cœur de Pic notamment, renouent avec l’univers de l’enfance.

  • Réfléchir, à partir de cette première démonstration, la façon dont le fait photographique peut, en cherchant à s’affranchir d’un impératif de représentation mimétique, travailler une esthétique de la distorsion soulignant l’irréalité du réel aussi bien que la réalité de l’irréel.

[/toggle]

[toggle title= »Hervé Sanson, RWTH – Aachen« ]

« Une lecture folle de Nathanaël : Claude Cahun par la bande ou la lettre absente »

« Je vous dirai une folie. Elle s’inscrit dans les lignes du visage recopiées cent fois sur un papier transparent jeté au brasier. […] La folie maladressée. » Par ces mots de Nathalie Stephens dite Nathanaël, extraits de L’absence au lieu (Claude Cahun et le livre inouvert), une éthique de la lecture tout autant que de l’écriture voit le jour : la folie, si on la prend à la racine, consiste à « faire le vide, dans la tête et dans le corps » ; ce qui est façon d’interroger : peut-on lire depuis la folie ? avec folie ? Folie à/de l’origine pour Cahun. Façon aussi d’interroger le nœud des appartenances : la famille y perd son m/aime, et la lettre absente, dans la faille de la langue ainsi obtenue, trace des correspondances inédites entre l’œuvre de la pionnière Cahun et son héritière, Nathanaël.

Qu’est-ce qu’interroger un livre que l’on n’a pas lu, dont on est demeuré sur le seuil ? Qu’est-ce qu’interroger un livre qui n’est pas signé, dont Cahun n’est pas l’auteur – à la lettre –, mais la récipiendaire posthume ? Nathanaël n’a pas ouvert le livre, elle ne parle pas à proprement parler de l’œuvre de Cahun, mais elle la place au seuil – par l’exergue issu de Confidences au miroir – et par le résidu de la trace photographique. C’est aussi de signature dont il sera question, tant un nom peut en cacher un autre : l’errance onomastique rejoue la lettre absente et le vide de la langue – toujours en quête d’une question qui ne quête pas de réponse. Se raturant dès que proférée. On l’aura compris : une lignée, de l’une à l’autre, aura eu lieu dont il convient de décrypter les chaînons.

[/toggle]

[toggle title= »Nathanaël, Auteures« ]

« La lune arquée

ou

l’E dépensé»

[/toggle]

[/accordion]